Avant c’est trop tôt, après c’est trop tard !
Le concept du Kairos est le temps du moment opportun. Il qualifie un intervalle, ou une durée précise, importante, voire décisive.
Dans mon roman Mon dernier vol, mon personnage principal est un adepte du Kairos. Il sait mieux que quiconque être au bon endroit au bon moment. Mais est-ce vraiment lui qui maîtrise le Kairos où une tierce personne qui le dirige ? Qui n’a pas rêvé de maîtriser le Kairos ?

Un auteur de fiction prend plaisir à maîtriser le concept du Kairos. Il peut changer à volonté la destinée de ses personnages par une action, une rencontre, une décision prise au bon moment. Il peut également mettre ses personnages en difficulté, en les laissant passer à côté de l’opportunité qui se présente à eux. L’auteur est le maître du temps ! Il peut maîtriser mieux que quiconque le présent puisqu’il connaît le futur ! L’auteur dessine les chemins de la vie de ses personnages même si parfois ces derniers le surprennent à changer de destination malgré lui. J’ai toujours été fasciné du décalage qui existe entre le personnage qui évolue, qui découvre sa vie de page en page et l’auteur qui écrit le présent de son personnage par connaissance de son futur.

Dans notre vie quotidienne, il nous serait tellement plus facile de maîtriser le concept du Kairos si nous avions une idée précise de notre avenir. Vivre dans le présent, profiter de la vie sans se soucier de l’avenir, carpe diem quand tu nous tiens ! Est-ce que vivre dans le présent permet à coup sûr de vivre le Kairos ? Pas forcément ! Prendre la bonne décision au bon moment dépend surtout de l’état d’esprit ou même de l’état physique dans lequel nous nous trouvons. Un simple mal de dents peut nous conduire à écourter une soirée dans laquelle nous aurions pu faire la Rencontre, si nous étions restés comme convenu. Ce qui est déroutant dans le Kairos, c’est que nous n’en sommes pas forcément conscients lorsqu’il se produit. C’est souvent plusieurs jours, mois et même années que nous réalisons l’importance du moment vécu.
Le Kairos se moque du passé, apparaît furtivement dans le présent et bouleverse le futur ! Quelques secondes s’emparent du reste de notre vie. C’est une arme redoutable que l’auteur a en sa possession. C’est une arme redoutée qui peut se retourner contre nous, lorsque nous n’y prêtons pas attention.
En conclusion : Le Kairos, pas facile à vivre !
Le lien pour visionner une vidéo sur France Culture.
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DIFFUSÉ LE 03/03/2020
Qu’est-ce que le «kairos» ?
LE JOURNAL DE LA PHILOpar Géraldine Mosna-Savoye
Article paru dans le journal de la philo sur France Culture.
Le terme «kairos» a été employé par un médecin en confrontation avec Emmanuel Macron ; mais à quoi renvoie le concept philosophique du kairos, d’où vient-il et comment l’utiliser ?

J’ai été interpellée par un mot, et ce mot, c’est «kairos». Fascinée par ce concept philosophique qui désigne l’occasion à saisir – et qu’on croise peu en dehors des salles de classe, des livres d’Aristote – il a été employé par un médecin face à Emmanuel Macron, alors le Président s’était rendu à La Pitié-Salpêtrière au tout début de l’épidémie de Covid-19.
- Que veut dire le terme «kairos» et à quel moment l’employer ?
- En parler, n’est-ce pas déjà le manquer ?
Définition du «kairos» ou la source des ruminations
Qu’est-ce que le «kairos» ? L’occasion est assez rare pour la saisir et pour se demander ce qu’il veut dire. Habituellement, le «kairos» désigne le bon moment, d’instant T ou d’opportunité à saisir. Ces définitions sont des paraphrases qui font penser à des publicités pour des marques de sport ou à des slogans pour faire des placements financiers, des avancements de carrière.
Certes, le terme de «kairos» a quelque chose de l’opportunisme, étant par définition «le temps de l’occasion opportune». En creusant un peu, on rencontre d’ailleurs très vite son opposé, le temps linéaire, «chronos». Et l’«aion», ou le temps très long de la génération, de l’ère, qui touche à la destinée, voire à l’éternité.
À côté, il y a donc ce «kairos», ponctuel, cet instant plein de promesses, qui ne se prévoit pas, ne s’installe pas, mais tient à l’acuité de chacun pour le saisir sur le moment sous peine qu’il disparaisse instantanément et définitivement. Pour moi, le kairos, c’est d’ailleurs plutôt ça : la source de toutes ces ruminations coupables qu’on a dans son lit, ou qu’Emmanuel Macron a peut-être lui aussi dans son lit, quand on se dit avant de s’endormir : «pourquoi je n’ai pas dit ça ?» ou «j’aurais dû faire ça».
La situation est donc paradoxale. Parler de «kairos», y réfléchir, pousser l’autre à le saisir, n’est-ce pas déjà trop tard ? Qu’il s’agisse de sa vie ou de l’hôpital, n’est-ce pas déjà une défaite, le signe de l’occasion ratée ?
Comment prendre le temps de saisir le «kairos» ?
Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote consacre plusieurs pages à la prudence, cette vertu qui permet de faire des choix éclairés dans des circonstances particulières, à un endroit donné, à un instant T, dans une situation de «kairos» donc.
La prudence ou «phronésis» en grec porte sur les choses singulières, par opposition à la sagesse théorique qui porte sur les objets universels. Relevant en premier lieu d’un art politique, elle concerne ainsi l’action, mais d’abord la délibération.
Et c’est une chose que je n’ai jamais comprise : si le «kairos» est le moment opportun, a-t-on le temps de délibérer ? A-t-on vraiment le loisir de tergiverser, d’écouter les points de vue, de les confronter, de les équilibrer et d’en faire une synthèse ? L’agenda politique qu’on dit intense, l’est-il assez pour traiter les urgences comme celles de l’hôpital public ?
Ce problème est précisément temporel : a-t-on le temps de cultiver la prudence et de devenir un expert, rapide et efficace, dans l’art de saisir les occasions ? Car les choses singulières étant singulières, on ne peut les prévoir, on ne peut pas user du raisonnement qu’on a dans les sciences… alors comment faire ? Y a-t-il un art, pas seulement politique, mais aussi des exercices permettant d’apercevoir les opportunités pour mieux les attraper et les traiter ?
La «justesse de coup d’œil», un instant éphémère
C’est vrai que certains moments s’annoncent de fait comme des moments clés, des tournants : ce sont par exemple des élections ou des décisions à prendre. Politiques, mais aussi existentiels. Comment prendre la bonne décision à ces moments-là ? Comment saisir ce «kairos», comment savoir d’ailleurs s’il s’agit vraiment d’un «kairos» ou juste d’un petit événement, pour donner une orientation nouvelle à notre existence ?
En lisant ce livre VI de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, je suis alors tombée sur la mention de cette faculté, la «justesse de coup d’œil» ou vivacité d’esprit, sorte de divination qui se passe du raisonnement. Et ça m’a rassuré, pas pour l’hôpital, mais pour moi : le «kairos» m’est alors apparu comme un moment que l’on saisit comme ça, magiquement. Il n’y a pas des occasions que j’aurais ainsi bêtement ratées, seulement des occasions que j’aurais laissées passer.